La Prêtresse Noire
Le Prêtre Noir ferma les yeux lentement, avant de secouer la tête. Rivka s'excusa précipitamment en voyant l'état dans lequel il était. L'appel venait tout juste de le réveiller, alors qu'il avait peiné à s'endormir. Ses nuits s'étaient peu à peu peuplées de cauchemars, des cauchemars qu'il savait n'être rien d'autre que des illusions, de simples images de ce qui aurait pu être et de ce qui ne fut jamais, contre lesquelles il ne pouvait malheureusement rien faire. Dans les ombres de cette chambre, cette pièce qui aurait du être son havre de paix, il ne pouvait qu'abandonner et espérer.

- Je suis encore ...

Il leva la main, lentement, et elle acquiesça, comprenant que les excuses étaient inutiles. Il aurait été épuisé quoi qu'il arrive, il le savait. Sa mémoire était son pire ennemi. Un adversaire contre lequel même les Dieux ne pouvaient rien.

- Que s'est-il passé ?

- Ils vous l'ont dit ? murmura-t-elle en écarquillant légèrement les yeux.

- Non, Rivka. Mais si tu me contactes alors que tout ce que ton corps te réclame, c'est un peu de repos, alors oui, il s'est passé quelque chose dont tu désires me parler.

Il la vit baisser légèrement les épaules, étouffer légèrement un rire. Un rire qu'il n'avait entendu que rarement dans sa bouche, au tintement abattu, presque désespéré. Il prit le temps de regarder autour d'elle, mais le reflet ne laissait voir que le visage de la démone aux traits tirés.

- Nous n'avons pas pu réaliser l'épreuve. Pas ... Pas comme il le fallait, je veux dire.

- Mais les Dieux l'ont acceptée ?

Elle acquiesça lentement en fermant les yeux. Elle se frotta la nuque d'une main, gênée, n'étant pas extrêmement sûre de ce qu'elle allait dire. Lean ne dit rien et attendit qu'elle se remette à parler, comprenant que cela pouvait être difficile pour elle. C'était la première fois qu'il entendait parler d'une épreuve ne suivant pas son déroulement habituel et que les Dieux acceptaient néanmoins.

- Ehne ... Nous l'avons rencontré. Ianna et moi, je veux dire. Elle est allée à la rencontre d'Ahna seule.

- C'est tout ? Je ne vois pas en quoi cela est si choquant.

Elle déglutit avec peine en baissant les yeux.

- Ahna l'a convoquée alors que nous étions attaquées, murmura-t-elle, si faiblement que Lean eu du mal à la comprendre. Ellie et moi avons pu les tuer.

Il la fixa sans un mot, incapable d'ajouter quoi que ce soit. Agressées pendant une épreuve. Il se leva en indiquant à Rivka de l'attendre là et disparu de son champ de vision. Il revint quelques instants plus tard en secouant la tête d'un air désolé. Il le savait. Il le savait pourtant. Il n'aurait pas du lui permettre d'entrer en contact avec lui de cette façon ... Ah ! Les Dieux lui en soient témoins, il n'en était que plus inquiet pour la suite.

- Il faudra éviter à l'avenir de me contacter, Rivka, je t'en pris, soupira-t-il.

- Il y a un problème ?

- Tu le sauras bien vite. Il faut que tu ailles te coucher, maintenant. La nuit n'est pas bien longue.

- Mais ...

- S'il te plait, Rivka. Ce n'est pas ma volonté et si je le pouvais, je viendrais vous aider. Malheureusement, ce n'est pas possible.

Elle hocha la tête et ferma les yeux, avant de lui souhaiter de pouvoir se reposer. Le reflet dans le miroir s'effaça, le laissant face à ses propres traits fatigués.

Le soleil allait bientôt se lever dans cette partie du monde. Il n'allait pas pouvoir se recoucher, il le savait très bien. Les cauchemars l'avaient pourchassé jusqu'à l'appel de Rivka et ils ne le laisseraient pas en paix. Le souvenir était sa seule solution. « Garde le au plus profond de ton cœur, là où il ne pourra pas mourir, là où il sera toujours près de toi. » Les mots résonnaient encore dans son esprit.

Il devait les protéger. Tous autant qu'ils étaient. Ianna, Rivka, l'escorte ... et Akha. Il était le seul à pouvoir l'aider, à pouvoir la sortir de cette horreur qui se jouait chaque jour dans son âme. Il devait la protéger. Qui pouvait savoir ce qui allait lui arriver, autrement ... ?


S'éveiller sans s'éveiller. Être sans réellement être. La sensation est étrange. Dérangeante. Elle sait où elle l'a déjà vécue.
Elle ouvre les yeux.
Autour d'elle, la chaleur. Les silhouettes se dessinent sous ses yeux et il la regarde. Aucun d'entre eux ne la voit, sauf lui.
- Il n'y a rien à craindre. Ils sont tous en vie. Ce n'était pas pour cette nuit. Alors repars.
Elle hoche la tête. Elle perçoit les mouvements, une silhouette, qui s'approche de lui, et elle sent ses yeux se fermer. Il n'y a rien à faire de plus. L'inquiétude qui rongeait son cœur s'est calmée.
Ils sont tous en vie et ils n'ont rien à craindre. Pas pour le moment.


Hal se laissa retomber sur la chaise et Nahdi lui apporta un bol plein de la bouillie d'avoine qu'ils venaient de préparer ensemble. Le soleil commençait à se lever et ils avaient pris le temps de revérifier à deux les protections qu'ils avaient mises en place la veille. Heureusement pour eux, rien ne s'était passé jusque là ... L'aubergiste s'installa en face de lui. Ils étaient aussi fatigués l'un que l'autre, n'ayant pas pu beaucoup profiter de la nuit pour se reposer.

- Est-ce que ... enfin ... Est-ce que tu crois que j'ai eu tord ? demanda soudainement Nahdi en baissant le regard vers ses mains, mal à l'aise.

Il secoua la tête. Il comprenait ce sentiment qui la prenait. Et si elle avait eu tord ? Et si ce n'était rien, rien qu'une erreur, rien qu'un délire sur lequel elle n'avait eu aucune contrôle ?

- Tu ne devrais pas t'inquiéter pour ça.

Nahdi acquiesça avec un sourire fatigué avant de sortir de nouveaux bols. Il fallait encore qu'elle s'occupe de la salle. Darance avait amené avec lui trois autres hommes de la Rosa Cruz et ils ne pouvaient plus s'installer dans la cuisine sans se marcher dessus. Elle les remplit et les posa sur un plateau avant de se diriger vers la salle commune pour pouvoir préparer les tables avant que le reste de l'escorte et les hommes de la Rosa Cruz ne se réveillent.

Tandis qu'elle s'apprêtait à repartir voir Hal, elle s'arrêta, la main en l'air, ses yeux s'agrandissant légèrement. Elle déglutit, fixant la porte qui s'ouvrit sans un bruit.

- On fait ... dans le sympathique, ici, siffla l'homme qui venait d'entrer, le visage couvert par sa cape.

- Vous ... vous désirez manger quelque chose ?

Il secoua la tête en étouffant un rire et elle recula, le cœur battant à tout rompre. Il y avait un problème. Ce sentiment si prenant, cette horreur si distincte. La peur descendait peu à peu en elle, tordant ses entrailles. Il s'approcha sans un mot, silencieux, trop silencieux, et saisit son menton entre ses doigts. Il avait la peau si froide ... et elle ne pouvait rien faire, paralysée, fixant le peu qu'elle arrivait à distinguer de son visage.

- Où sont-ils ?

Sa respiration s'accéléra. Elle n'entendait plus que les battements de son cœur, les pulsations rapides rythmant contre ses tempes. Est-ce que Hal allait venir ? Est-ce que ... ? Elle était si faible.

- On préfère garder sa langue ?

- Ou on préfère t'éviter, Shess.

Chaï descendit quelques marches, vêtu de son seul pantalon et ayant pris le soin de prendre son épée, suivit par Key qui regardait la scène d'un air neutre. Le thérian relâcha la jeune femme qui s'écroula part terre, tremblante et encore sous le choc et dégaina le long poignard qui pendait à sa ceinture.

- Tout seul ? Sans tes chiens ? On dirait que ...

- Il n'est pas tout seul, le coupa Key en haussant les épaules. Ils savent disparaître aux yeux des gens, peut-être, mais ça ne suffit pas.

Il se glissa devant Chaï et appela Hal, qui apparu à la porte de la cuisine avec un léger sourire avant de hocher la tête. Il avait beau être épuisé, il n'était pas stupide. S'ils avaient fait l'effort de mettre des protections, ce n'était pas pour rien. Si pour le moment, elles tenaient éloignés le reste des hommes accompagnant le thérian, ils ne savaient pas combien de temps elles tiendraient. Et Shess était en lui-même une menace qu'ils ne pouvaient pas ignorer.

Le mage se rapprocha de Nahdi, qui était restée prostrée sur le sol, encore secouée par ce qui venait de lui arriver. Il la releva et la prit contre lui, sans quitter des yeux Shess, qui les regardait tour à tour, un grand sourire sur les lèvres.

- Vous êtes là, vous ne faites rien ... Vous êtes ...

Un léger gloussement lui échappa. Key tourna la tête vers Chaï, qui fixait le thérian, et il lui tendit la main. Le guerrier fronça les sourcils.

- Tranche.

Le thérian avait peu à peu reculé, se plaçant près de l'aubergiste et du mage. Au moindre mouvement agressif, ils se doutaient de ce qui les attendait.

- Je ne vois pas ce que ...

- La paume. Tranche.

Et il comprit. Ils ne pouvaient pas abattre Shess, pas avec Hal et Nahdi, pas avec les armes, parce qu'il savait que le thérian jouerait assez longtemps pour que ses chiens brisent les protections. Alors quoi ? Il prit son arme et trancha, comme le jeune homme lui avait ordonné. La plaie, au creux de la paume, profonde, se mit rapidement à saigner et Key plaqua ses deux mains l'une contre l'autre, marmonnant des mots que personne n'avait prononcés depuis bien longtemps, qui s'entrechoquaient contre sa langue qui avait perdu cette habitude, qui avait voulu oublié. Et Shess recula, abasourdi d'entendre ces mots, ceux qu'il n'aurait pas cru devoir affronter sur ces terres, avant d'être bâillonné, enserré dans les liens émergeant des ombres que Key avait convoqués.

Le jeune homme s'approcha du thérian, qui avait été forcé de laisser tomber son poignard, et lui retira son capuchon. D'une main, il traça un symbole sur les joues du thérian avec son sang.

- Et quand tu arriveras, tu lui diras qu'elle peut aller se faire foutre, lui dit-il a l'oreille avant de reculer.

Il se dirigea vers la cuisine, laissant ses compagnons regarder Shess disparaître peu à peu, englouti par les ombres qui le maintenaient en place.