La Prêtresse Noire
Elle s'était levée au beau milieu de la nuit et avait enfilé son pantalon et sa veste avant de sortir de la chambre. Elle s'était réveillée, un sentiment pressant la tenaillant. Elle était descendue silencieusement dans la salle principale, pieds nus, baillant tant qu'elle pouvait. Il faisait sombre et ses yeux avaient un peu de mal à s'habituer au manque de lumière. Pourtant, elle remarqua bien vite qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas dans cette pièce.

Elle n'était pas seule.

Elle se tourna vers l'inconnu et hoqueta de surprise en le reconnaissant. Cette cicatrice ... Il n'y avait que Chaï pour en avoir une aussi visible, traversant son visage en diagonale. L'homme était assis, les jambes croisées, un léger sourire aux lèvres. Il inclina la tête doucement, visiblement amusé par la situation.

- Je ne pensais pas te voir cette nuit, tu me surprends. Tu avais l'air de profiter de ton repos.

Elle secoua la tête, incrédule, avant de croiser ses bras sous sa poitrine. Après ce qu'elle avait vu, elle ne devait pas avoir peur de lui. Cela ne l'empêchait pas d'appréhender légèrement la situation. Certes, le reste de l'escorte n'était pas très loin, néanmoins ...

- Qu'est-ce que vous me voulez ?

- Te prévenir.

- C'est bien beau, mais ...

- Ne fais pas l'innocente, je sais que tu te souviens de ce que tu as vu cette nuit là. Et si cela ne te permet pas d'être convaincue de la réalité ...

Il tendit son bras vers elle, l'invitant à s'approcher, ce qu'elle fit, toutefois sur ses gardes. Il retroussa sa manche d'un geste souple, dévoilant des marques plus sombres sur sa peau pâle. Elle plissa légèrement les yeux, cherchant à mieux voir, et finit par abandonner l'idée.

- Besoin d'un peu de lumière, peut-être ?

- Désolée de ne pas être nyctalope, hé, grommela-t-elle en reculant. Je suis humaine, pas surhumaine, ça, ça ne fait pas encore partie de mes fonctions.

Il ne fit pas de commentaire et sorti de sa poche un petite pierre-lumière, qu'il activa en l'effleurant doucement, et l'approcha de son poignet. Les marques étaient rouges, parfois bleutées, des hématomes, peut être, probablement causées par ...

- Les chaînes ?

- Pas le lieu de séjour le plus agréable qu'il soit, la prison, en effet.

- Et c'est tout, ou il y a autre chose ?

- Impatiente, n'est-ce pas ?

- Fatiguée, grommela-t-elle. Et si je me suis levée, c'est probablement parce qu'on a voulu me faire remarqué que vous étiez là.

Il sourit, amusé, avant de se relever et de mettre ses mains derrière son dos. Son expression redevint sérieuse en un instant, et elle tira une chaise vers elle pour pouvoir s'asseoir. Elle était intriguée. Elle ne se sentait plus en danger, pourtant, elle savait que si Rivka apprenait avec qui elle était en train de parler, les choses se passeraient ... très mal.

- La reine compte envoyer ... quelqu'un d'autre à votre poursuite.

- Parce que vous ne lui convenez plus ?

- Parce que j'ai décidé de disparaître à ses yeux, fit-il d'une voix froide. Je ne peux plus faire ce qu'elle me demande.

Elle soupira, sans bien comprendre où il voulait en venir. Il ne pouvait plus ? Pourtant, cela ne l'avait pas dérangé de la voler et de l'agresser, lorsqu'il était devant son immeuble. Elle se demandait d'où pouvait venir ce changement. C'était pour le moins étrange à ses yeux. Les hommes changent, certes, mais changent-ils autant en si peu de temps ?

- Cela peut paraître ...

- Surprenant ? l'interrompit-elle. Surprenant n'est même pas le mot que j'utiliserai. Estomaquant, plutôt. Abasourdissant. Surprenant n'est même pas assez fort, même après vous avoir vu en prison, Chaï.

- Je sais bien. Et si je ne peux rien y faire ...

Elle leva les yeux au ciel, avant de secouer la tête d'un air navré. Si en plus de cela, il ne comprenait pas où elle voulait en venir ...

- Je veux savoir ce qui vous a décidé à changer, Chaï. On ne change pas simplement parce qu'on a vu quelqu'un lorsqu'on était en prison.

Il sourit, un peu tristement. C'était un sujet délicat, un sujet dont il ne voulait pas parler. Néanmoins, il voyait bien qu'elle insisterait jusqu'à obtenir une réponse. Elle était acharnée. Elle voulait savoir, elle voulait comprendre, pour pouvoir mieux appréhender la situation. Il ne pouvait pas lui reprocher. C'est ce qu'il aurait du faire, il y a bien longtemps déjà ...

- Ce n'est pas toi. Ce n'est pas Rivka, ce n'est pas ... votre Prêtre. C'est un ... ami, un compagnon de voyage que j'ai rencontré ici et qui m'a aidé. Voilà tout.

- Vous, un compagnon de voyage venant de Lalhta ? Surprenant.

- L'est-ce réellement ? Et ce n'est pas de cela que je suis venu parler, jeune femme. Il y a bien plus important.

- Si je peux en parler avec le reste de mon groupe, alors oui, j'accepte de vous écouter, dit-elle en acquiesçant.

Il soupira, gêné. Elle allait en parler avec son escorte, quoi qu'il arrive. Il ne pouvait pas lui demander de se taire. Cela aurait été contraire à sa raison. Il était là pour la prévenir, pas pour l'empêcher de communiquer avec ceux qui la protégeaient. Un travail admirable et respectable, à ses yeux, que de protéger celle qui allait régner sur leur monde. Lui-même avait failli à sa mission il y a bien longtemps déjà. Il avait failli lorsqu'il avait rencontré et compris réellement ce qu'était Lalhta, autre chose qu'une chimère en laquelle on ne pouvait avoir confiance.

- Il s'appelle Sessh. Un ... thérian serpent au service de la reine.

- Un thérian ? releva-t-elle en haussant un sourcil. Cela peut paraître surprenant, mais non, jamais entendu ce mot.

- Une race particulière de Lalhta et de Ghen, des humanoïdes capables de se transformer en animaux.

Elle passa sa main sur sa nuque. L'idée était étrange. Elle connaissait décidément bien mal le monde dont elle était sensée s'occuper. Rivka était une démone et l'idée n'avait pas eu de mal à être admise par son esprit, sans qu'elle sache bien pourquoi. Peut être parce qu'elle avait l'air ... si normale ?

- Et qui est ce ... thérian ? Plus précisément, je veux dire ? Un nom ne va peut être pas suffire ...

Chaï acquiesça avant de se rasseoir à son tour. La jeune femme était intriguée par ce qu'il venait de lui dire.

- Sessh est un excellent guerrier. Un défi pour la gamine de ton escorte, je suppose ...

- Ellie ? pourquoi ? Je ...

- Elle est impressionnante d'énergie, tu ne trouves pas ? la coupa-t-il. Elle serait ravie d'affronter quelqu'un d'aussi fort qu'elle. Tu devrais lui demander, je suis certain qu'elle trouverait l'annonce intéressante.

- Rien de plus, vraiment ?

- Jeune femme, c'est déjà beaucoup que de révéler son identité. C'est toi, la prêtresse au contact des Dieux. Je ne suis qu'un homme. Un simple guerrier dont la lame a ... changé de camps, simplement.

- Je sens que tout cela va finir par "je vais aller me recoucher en maudissant mille fois votre nom", Chaï, si vous continuez ainsi ...

Elle étouffa d'ailleurs un bâillement. Il était tard, elle était fatiguée, et si elle était là, c'est à cause de ceux qui voulait qu'elle soit là. Rejoindre son lit paraissait la meilleure des idées, à ce moment précis.

- Tu peux lire sur lui, tu sais. Il n'est pas ... invisible comme j'ai pu l'être.

- Donc tout ce que vous me conseillez, c'est un tirage de tarot ?

- De la part d'une si bonne taromancienne, il est surprenant de rencontrer tant de pessimisme, n'est-ce pas ?

Elle grommela une réponse incompréhensible, à mi-chemin entre le désespoir le plus total et l'insulte. Ce n'était pas comme s'il avait besoin de comprendre. Elle tirait rarement pour découvrir ce qui la menaçait, encore moins parce qu'on lui avait indiqué que quelqu'un la menaçait. Il allait visiblement falloir qu'elle change ses habitudes, malheureusement pour elle.

Elle se releva et remit la chaise à sa place, avant de tourner le dos à Chaï. Elle était épuisée et elle sentait bien que la conversation n'allait pas durer plus longtemps. Autant aller rejoindre la chambre et retrouver le sommeil dont elle avait besoin.

- Dois-je vous souhaiter une bonne nuit, alors, monsieur mystère ?

- Peut être bien ...

- Alors au plaisir de vous revoir, fit-elle en s'engageant dans les escaliers. Et remerciez de ma part celui qui vous a fait aimé Lalhta. J'aurais trouvé ... désagréable de me trouver face à vous dans un combat.

Elle disparut à l'étage, et il resta là, assis, pensif. Il effleura du bout des doigts la pierre-lumière, qui s'éteignit doucement, restant dans le noir pour songer à tout ce qui venait de se dire.

Peut être était-ce aussi le temps pour lui de remercier celui qui l'avait mené à changer de chemin. Il était rare que des hommes comme lui existe, des hommes se trouvant en dehors des lignes même du Destin. Il n'avait pas voulu faire partie de ceux là. Ces invisibles qui n'existent pas aux yeux de ceux qui savent, contant le futur à ceux qui écoutent. Il aurait préféré cent fois mourir plutôt que de savoir que tout ce qu'il avait fait, tout ce qu'il avait vécu, tout ce qu'il avait causé était de sa seule et unique faute, électron libre et tache d'encre sur la page manuscrite de l'histoire écrite par les mains des Écrivaines.

Il était temps de remercier celui qui lui avait fait comprendre la beauté de cette invisibilité.




- Penses-tu réellement qu'elle en est capable ?

- Ton pessimisme ne te fais pas honneur, Dahlie. Je t'ai connu plus ... enjouée.

- As-tu simplement vu la façon dont elle tord le Destin ? Les Ecrivaines ... aiment former Leurs mots autour d'elle ...

- Dahlie, j'ai été en sa présence. Bien sûr que je l'ai vu. Elle est plus bénie que ceux qui sont passé avant elle. Yallweh et Enweh lui ont accordé leur bénédiction et leurs reliques. Ne penses-tu pas que cela devrait te suffir ?

- Je la crains, Darance. Elle pourrait ... ne pas être ...

- J'ai vu son regard. Si cette gamine est terrifiée par ce qui lui arrive, par ce monde, par cette nouveauté, elle nous respecte.

- C'est ce que tu veux bien voir ...

- Tu devrais arrêter de te mentir. Tu as peur à cause de Leichnam. Tu as peur qu'il la brise. Tu as peur parce que tu sais que pour lui, elle ne sera jamais assez bien. Et tu veux mon avis ?

- Quoi que je dises, tu l'ignorera et tu me le donneras, alors ... vas-y toujours.

- C'est elle qui brisera Leichnam.