La Prêtresse Noire
- L'espace te convient ?

- C'est dans ce genre d'endroit que je suis arrivée. Celui-ci est parfait pour repartir.

Les deux femmes s'étaient rendues dans le parc public qui se trouvait non loin ce l'appartement de Ianna. Elles avaient du grimper par-dessus les grilles closes pour pouvoir y pénétrer. Rivka avait fait attention à toutes les traces qu'elles pouvaient laisser derrières elles, surtout les traces énergétiques. Elle ne voulait pas que Chaï se rende compte trop tôt de leur départ. Elle dirigea la jeune femme vers un espace herbeux dégagé, sur lequel tombait les ombres des arbres alentours. Un espace parfait, assez large pour qu'elle puisse utiliser ses dons et ouvrir un portail. Elle sortit sa dague de son sac et tendit ce dernier à Ianna, qui s'en saisit sans un mot. Il fallait agir vite et bien.

Elle se mit à tracer devant elle un cercle à l'aide de la lame, les yeux fermés, tout en récitant une litanie qui ne disait rien à Ianna. Le tracé se mit à briller d'une lueur violacée et surnaturelle et, tandis que Rivka continuait sa prière, l'espace saisit au centre de cette lumière semblait s'effacer pour laisser place à ... autre chose. Des formes se dessinaient, lentement, à travers cette fenêtre posée entre les mondes. Seulement, elle n'arrivait pas à percevoir grand chose. L'autre côté – Lalhta – était plongé dans les ténèbres de la nuit.

Rivka rangea sa dague dans son fourreau et reprit son sac des bras de Ianna, avant de la prendre par la main et de l'attirer contre elle.

- C'est un peu perturbant, au début.

- C'est ma première et dernière fois, je te rappelle, grommela l'étudiante, un peu gênée.

- Alors profites-en !

Elle ne comprit pas bien tout de suite ce qui lui arrivait. Rivka l'avait serrée contre elle et lui avait fait passer le portail sans plus de cérémonie. La sensation était pour le moins étrange. Elle sentait qu'elle avait traversé quelque chose d'autre, qu'on l'avait forcée à mettre les pieds à travers une aberration rationnelle la plus totale. Elle sentait bien que si la rousse ne la tenait pas contre elle, elle allait s'écrouler d'un instant à l'autre. Pourtant, elle ne se sentait pas mal, simplement ... fatiguée. Comme si traverser le portail lui avait demandé bien plus d'énergie qu'elle ne le pensait tout d'abord.

- Bienvenue à Lalhta, future Prêtresse.

Tout était différent. Elle frissonna légèrement. Il faisait plus froid, elle le sentait bien. L'air était plus frais, plus pur. Elle n'arrivait pas à percevoir ce qui l'entourait. Il faisait extrêmement sombre et elle pouvait voir les étoiles briller dans le ciel – un ciel qu'elle ne connaissait pas et qu'elle allait devoir apprivoiser.

- Nous ne sommes pas loin de Halt. Tu penses que tu peux marcher ?

Ianna esquissa un sourire gêné. Elle sentait que son équilibre était incertain. Elle était fatiguée et tout ce qu'elle voulait, c'était rejoindre un bon lit dans lequel elle pouvait s'écrouler et dormir.

- Je crois que tu vas devoir me soutenir. Désolée.

- Tu parles, c'est déjà mieux que moi la première fois, fit Rivka en tentant d'étouffer un rire.

- Ce n'est pas très glorieux, tout de même ...

La rousse ne rajouta rien, une expression malicieuse sur le visage. Elle installa Ianna contre elle, de manière à ce que cette dernière puisse profiter de son soutient sans soucis, et prit les sacs sur son épaule libre. Elles avançaient lentement, Rivka s'arrêtant souvent pour s'enquérir de l'état de la jeune femme, qui peinait à marcher. Ses jambes commençaient à lui faire mal, mais elle ne voulait pas se plaindre. Cela n'aurait servi à rien, à part encore plus les ralentir. Et même si la menace représentée par Chaï n'était, pour le moment, plus à craindre car il ne pouvait pas savoir qu'elles étaient parties, elle ne voulait pas se plaindre pour quelque chose d'aussi trivial.

Il leur fallut plus d'une demie-heure pour arriver en vue de la ville. Halt n'était qu'un bourg et, à cette heure de la soirée, il n'y avait personne dans les rues. Rivka sentait bien que Ianna commençait à doucement s'endormir sur son épaule et qu'elle avait de plus en plus de mal à avancer. Elle les dirigea vers l'auberge, un établissement simple et sans grand faste, dont elle connaissait bien les propriétaires : Halt était, après tout, son point d'arrivée le plus fréquent après ses voyages entre les mondes.

Il n'y avait pas grand monde dans la salle principale. Quelques buveurs, sans plus, s'étaient installés près du feu et discutaient sans faire attention à ce qui se passait autour d'eux, parlant du beau temps, des récoltes, de qui trompait qui et qui allait épouser qui. La femme qui tenait l'auberge était installée au comptoir et feuilletait un livre aux pages jaunies. Elle n'avait pas plus de vingt-cinq ans, et pourtant, elle tenait cet endroit avec brio. Elle était vêtue d'une tunique aux manches retroussées et d'un pantalon de toile, des vêtements pratiques et simples, et ses cheveux noirs étaient tressés pour ne pas la déranger tandis qu'elle travaillait – ou qu'elle lisait. Rivka installa Ianna sur une chaise et se dirigea vers elle, tapant un léger coup sur le comptoir pour attirer l'attention de la lectrice, qui sursauta.

- Toujours aussi amoureuse de tes romans, Nahdi ?

- Tu peux parler, murmura-t-elle en rougissant légèrement.

- Tu as une chambre avec deux lits de libre ? La demoiselle que j'accompagne est fatiguée et, je dois l'avouer, moi aussi.

Nahdi replaça derrière son oreille une mèche qui venait de tomber de sa tresse et reposa son livre. Elle prit son registre et l'ouvrit. Elle n'arrivait jamais à se souvenir du nombre de clients qui dormait chez elle et avait pris le parti de le mettre à l'écrit.

- Oui, c'est bon. Et ...

L'aubergiste lança un regard curieux à Ianna, qui s'était finalement endormie sur la chaise, trop épuisée pour tenir plus longtemps. Rivka venait toujours seule ici. Oh, certes, elle l'avait déjà vue de temps en temps avec des femmes et des hommes, lors de leurs discussions à travers les miroirs, mais elle n'avait jamais amené personne à Halt.

- On m'a envoyée la chercher. Et vu qui j'ai rencontré, ça n'a rien d'étonnant.

Nahdi hocha la tête. Rivka s'était plusieurs fois confiée à elle, en s'assurant son silence et en lui assurant son aide en toute situation par un serment de sang. L'aubergiste n'avait jamais regretté d'être devenue la sœur de serment de la rousse. Tout ce qu'elle lui avait raconté était plus passionnant que tous les livres qu'elle pouvait lire.

- Tu veux manger quelque chose, ou ... ?

- Ça va aller. Je vais aller la monter et je crois que je vais aussi aller me coucher. Je te parlerai plus longuement demain matin, ça te va ?

L'aubergiste acquiesça avec un sourire et lui indiqua qu'elle pouvait prendre la chambre au fond du couloir, au premier étage. Rivka s'empressa d'aller prendre dans ses bras Ianna, qui ne protesta pas, trop profondément endormie pour remarquer quoi que ce soit. Nahdi alla prendre leurs affaires et elles montèrent.

La chambre était petite mais confortable, éclairée par un petit globe de pierre émettant une douce lueur. La rousse déposa avec douceur la jeune femme endormie sur l'un des deux lits et lui retira ses chaussures et sa veste, avant de l'installer sous les couvertures. Nahdi posa les sacs dans un coin et lui souhaita bonne nuit, avant de sortir. Rivka s'assit sur le lit avec un soupir de soulagement. Elle sentait la fatigue à travers tous ses membres. Elle pouvait faire bonne figure encore un moment, certes, mais elle sentait bien que tout ce dont elle avait besoin, actuellement, c'était d'une bonne nuit de sommeil. Elle défit les lacets de ses bottes et les retira, avant de se déshabiller pour se glisser sous les couvertures. Elle posa sa main sur la pierre, dont la lumière s'affaiblit peu à peu avant de totalement disparaître, et elle s'endormit.




- Je veux dire ...

- Ne dis pas, tais toi, arrête, tu m'énerves.

- Dahlie !

- Elle va bientôt arriver. Elle est peut-être même déjà arrivée. Vous devriez rejoindre vos Ordres, chacun d'entre vous.

- Elle est déjà là, alors.

Il se fendit d'un sourire amusé que tous pouvaient voir, même dans les ombres qui masquaient son visage et qui les empêchaient de distinguer clairement où il se trouvait à travers le miroir avec lequel ils communiquaient.

- Allez. Et que chacun respecte les Écrits.




Elles s'étaient toutes les deux réveillées bien tard ce matin là. Nahdi n'avait pas osé les déranger, sous prétexte qu'elles avaient besoin de rattraper leur sommeil en retard. L'aubergiste avait un peu discuté avec Rivka pendant qu'elle leur servait le petit-déjeuner, gênée par l'air grognon de Ianna, qui se sentait mal à l'aise. Elles avaient passé le reste de la matinée dans le silence, jusqu'à ce qu'elles réunissent leurs affaires et qu'elles partent, non sans avoir remercié l'aubergiste, qui fit promettre à Rivka qu'elle la recontacterai dans les prochains jours.

La rousse avait mené Ianna un peu à l'extérieur du bourg, après lui avoir expliqué qu'elles allaient de nouveau utiliser un portail pour pouvoir se rendre là où les attendait le Prêtre Noir. La jeune femme craignait un peu cette idée, néanmoins elle fut rassurée tout de suite par Rivka : traverser le voile entre les mondes était bien plus épuisant et demandait plus d'énergie que traverser de longues distances.

Cette fois-ci, elle put observer un peu plus en détails la technique qu'utilisait sa compagne de voyage. Elle avait toujours un peu de mal à prendre conscience que tout ceci était bel et bien réel. Le tracé de la dague, la façon dont l'air se modifiait peu à peu et faisait apparaître un autre paysage, comme une fenêtre ouverte au beau milieu de rien.

- Tu te sens prête ?

- Je suis bien obligée de l'être, grommela-t-elle en serrant son sac contre elle. Je suppose que voyager à pied n'est pas à l'ordre du jour.

- Disons que nous sommes un peu trop pressées pour cela, répliqua Rivka avec un clin d'œil.

Elle prit Ianna par la main et traversa le portail en prenant soin de faire attention à ce que faisait la jeune femme, qui avait fermé les yeux, anxieuse.

- Nous sommes passées, tu peux rouvrir les yeux, fit la rousse d'un ton amusé.

Elle ne dit rien, rouvrit les yeux et détourna le regarde, légèrement rouge. Elle était gênée d'avoir été prise en flagrant délit – elle n'aimait pas l'idée d'être vue dans cet état. Le paysage autour d'elles était bien différent de Halt. Il faisait extrêmement chaud et elle pouvait entendre au loin le bruit des vagues. Ça et là, quelques arbustes tentaient de pousser, luttant contre la chaleur et la pauvreté du sol. Il n'y avait personne aux alentours, et, à part la végétation et un oiseau qui venait de passer au-dessus de leur tête, aucune trace de vie. Elle retira sa veste et noua les manches autour de sa taille avec un soupir.

- Tu aurais pu me prévenir.

- Désolée, j'oubliais que tu sentais ce genre de choses, s'excusa aussitôt Rivka. Nous ne sentons pas les différences de température.

- Nous ?

Voilà une discussion qu'elle voulait éviter à tout prix pour le moment. Elle savait que ce qu'elle était pouvait être assez ... effrayant. Elle l'avait appris à ses dépends lors de son très court séjour sur Terre. Elle prit Ianna par la main et indiqua une grotte qui se trouvait dans la falaise qui surplombait le paysage, non loin de là.

- Je t'en parlerai plus longtemps ce soir. Nous avons un rendez-vous.

La jeune femme ne chercha pas à explorer la question plus longtemps et suivi sa guide sans un mot. Elle allait rencontrer le fameux Prêtre Noir. L'homme qui dirigeait Lalhta. L'endroit de la rencontre était surprenant, néanmoins, elle était persuadée que ce n'était que le début. Elle ne connaissait pas ce monde après tout. Et si elle était là, c'est parce qu'elle devait lui succéder. La moindre des choses était qu'il lui permette de mieux comprendre le pourquoi de sa présence ici.